Michel Valprémy, Oeuvres vives par François Huglo

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           Les « œuvres vives » d’un navire sont sa part immergée. Michel Valprémy (1947-2007) aura traversé sa vie en gardant enfoui, comme un trésor ou une sépulture, le journal qu’il n’avait cessé de tenir depuis 1965 et qui demeurait le sédiment de son travail. Ses publications elles-mêmes, pour la plus grande part dans des revues ou dans les collections de plaquettes qui les complétaient, n’auront connu qu’une diffusion confidentielle. Loin de s’en plaindre, Michel puisait dans l’amitié attentive et fidèle d’un cercle de lecteurs les forces qui lui permettaient d’avancer en toute indépendance et avec confiance. L’estime était réciproque : depuis les années 80, il était considéré comme l’un des écrivains les plus sûrs de sa génération par tout un réseau de revues (La poire d’angoisse, Décharge, Le dépli amoureux qui deviendra Le Grand Hors-Jeu ! puis Le grand Nord et Comme un terrier dans l’igloo, M25, Électre, Verso…), et par quelques éditeurs.  Une société des amis des textes de Michel Valprémy n’aura cessé de l’accompagner et de le soutenir de son vivant. La transformer, après sa mort, en association des amis de l’écrivain, ne fut qu’une formalité.

Ce que cherchent à diffuser ces amis, en élargissant le cercle et en permettant aux « œuvres vives » d’émerger, c’est la chance d’avoir connu, par la lecture et parfois la rencontre, l’échange, de vive voix, un artiste rare et familier, tonique et paradoxal. Un ascète espiègle. Un théâtreux monacal. Un sage à l’école (et à l’écoute) des fous. Un athlète compatissant. Un précieux primesautier. Un moderne archaïque. Un citadin bucolique. Un désespéré hilare. Un poète qui écrit peu de poèmes. Un critique exigeant qui n’a jamais écrit une note critique. Un arbitre des élégances qui fraternise avec les clochards, les travestis, les prostituées. Un écrivain dont les œuvres ramifient en diverses directions un journal secret. La jouvence des mots usés. La sève, l’eau croupie. L’oiseau, la charogne. Une prose qui, comme on le dit de certains crûs, ne se pisse pas, s’éjacule. La langue en miettes, la langue en sauce. Le noyau, la pulpe. Souple, incorruptible. Sociable, sans concession. Chenapan janséniste. Une exception où chacun peut se reconnaître. Multiple, unique. Pas plus contradictoire que l’acier : deux faces opposées, leur synthèse sur le fil d’une lame.

Les amis de Michel Valprémy sont accueillis chaque été par son compagnon Claude Martin, dans leur maison commune, à Robin, près de Fronsac. Chacun peut proposer une lecture. Aux voix habituelles de Sylvie Nève, de François Maurin, du comédien Christian Rousseau, se joint celle d’une élève du cours de danse de Michel. Une autre année, Denis Ferdinande lit un extrait d’Albumville, ou je présente un montage  d’extraits de lettres à Michel Sauquet. En 2013, Sylvie Nève, qui a co-écrit Chichi, le chevalier trempé avec Michel,  retrouve Jean-Pierre Bobillot pour une nouvelle version d’ Orlando Moroso que le duo sonore avait créé en ces lieux le 23 juillet 1988. Cette réunion annuelle permet aussi de faire le point sur la publication des inédits de Michel et des textes devenus introuvables. Dès sa fondation, l’association avait en effet distingué trois grands ensembles : les ouvrages disponibles chez divers éditeurs, les plaquettes agrafées, non rééditées, dont le rassemblement s’imposait, et les textes publiés dans des revues.

CHEZ DIVERS ÉDITEURS

Rose, Raoul et Courte-Queue (Deleatur, 1988). Légende, avec une eau-forte de Jacques Abeille. « Il y aurait l’histoire, toujours, d’une belle amour, d’un rustre amour, et de leur drôle. (…) Pas de cimboles : c’est bien d’égrillards légumes, de priapiques volailles qu’ils s’agitent ! » (extrait de la préface de Sylvie Nève & Jean-Pierre Bobillot).

Michel Valprémy (Les contemporains favoris, 1991). Morceaux choisis. Édition commentée avec notes, notices bio-bibliographiques, jugemets, exercices, et une introduction de François Huglo. Illustrations de Jacques Abeille, Luc Lauras, Michel Valprémy.

L’appartement moutarde (Opales, 1995. Précédentes éditions : Le Grand Hors-Jeu ! n°73, 1994, et éditions du Rewidiage, collection Plis, 1994, suivi d’une lettre ouverte de François Huglo). « (…) comme on parle du nid d’une écharde (et ce nid la baigne, la trempe, l’oint, comme la lumière resserrée autour du pantin dans la toile décrite à la fin : lumière des limbes (…) » (extrait de la lettre ouverte).

L’œil du guetteur (le Dé Bleu, 1997). « Les courtes proses, à la musique intérieure violemment rythmée, de Michel Valprémy sont autant de compositions « plastiques » qui démultiplient les approches de la lecture, pour autant que le lecteur veuille bien varier les distances d’observation —comme on le fait pour les toiles d’un peintre ». (4ème de couverture).

Pablo, les baigneurs (Opales, 1998). « Le récit n’aura d’autre lieu que le corps de chaque personnage. Valprémy (un genre littéraire par livre) isole ici des corps purs. Se combineront-ils ? À chacun sa tratégie » (François Huglo, 4ème de couverture).

Cadastres du clair/obscur —réseaux, ruses, abécédaire— (Atelier de l’Agneau, 1999).

« Clairon

            S’esclaffe, enroué comme un cric (je dis ce que j’entends), le coq ronflant du fumier, mastaba croûteux l’île dans le pré, gratiné à souhait, caramélisé, mon beau navire, mon radeau planté qui tremble et brûle sur la peinture, sur la palette d’un soleil mou ».

Mailles, mémoire (Opales, 2000).

« Mailles, mémoire, bandeau d’ébène d’où vient le jeu, la douleur borgne qui geint, batifole, cherche filon, ses parfums, ses papilles, outre-temps, avant-hier, quand chaque jour je touchais au but ? ».

Tout le monde passe devant les vitrines (Atelier de l’Agneau, 2001).

« 1. Elle l’a léché, maintenant c’est fini.

    2. J’y crois, je tricote mes ailes.

   3. Pigeon vole, je te montre ?

   4. Je décapote, elle couine.

   5. J’ai lu La Mégère : ma sœur en direct.

   (…)

   80. Personne ne me doublera à la fin ».

Kiosque à paroles (Éditions Voix, 2001). « Ras la peau, ras l’odeur, ras la page tannée, qui passe au crible (vers, libre calibre ?). Quels rayons martèlent (retours d’enfance) ? Quel couteau touille l’œil du lapin, cure l’os gâté, quel opéré opère ? Aiguise, lecteur, exerce ton bec à gratter la plaie, à pêcher dans la fange la netteté, la sécheresse. À goûter le venin, à mâcher la soif. À léguer l’inventaire est un trésor). À trancher. À cracher vrai ». (François Huglo, 4ème de couverture).

Albumville (Atelier de l’Agneau, 2002).

« Dans les BUS, il y a aussi des travailleurs aux mains larges (deux fois les miennes). Ils sentent le ciment et la brique, ils ont l’air doux, malgré les ans, la fatigue. Ils me demandent sans se moquer si j’écris mes mémoires. Je réponds oui. Ils disent que j’ai de la chance. Ils disent qu’ils n’ont rien à dire, eux. Je réponds si, comme tout le monde. Ils disent rien, non rien. Je réponds si. Je regarde leurs mains. Ils ont vu les miennes. Ils disent bon, et peut-être à la fin ».

Cibles, cribles (Haldernablou, 2003). « (…) la lecture de Cadastre du clair / obscur, d’Albumville, m’imposa l’évidence que cette poésie, si elle ne mâchait pas ses mots, n’avait pas vocation à épuiser le réel mais à en élargir la perception, en restant à l’affût des plus fugaces suggestions, et au plus puissant effet de réalité qu’elles apportent. Car si Valprémy excelle à rendre le scabreux avec naturel, ce n’est pas pour répondre au sexuellement correct, qui fait du sexe un orphelin de la réalité, mais pour rendre au sexe le réel tout entier. (…) Voici donc aujourd’hui, sous couverture vert pomme et lettres muscat Cibles, cribles de Michel Valprémy. Un détour par l’enfance mais surtout des détours par l’enfance, par les fourbis de l’enfance, qui pense beaucoup par ce qu’elle touche, sent, manipule, goûte, entasse, reluque et dévaste. Et passe en contrebande » (François Maurin, éditeur, Le divan de Modestine, septembre 2003 n°2.

La Mamort, en collaboration avec Christophe Manon (Atelier de l’Agneau, 2004). « Langue de pie, pays perdu, rhume des foins, brasier de chats, d’insectes, fleurs de culottes, très long péché du bon plaisir, un rien suffit pour la curée —Mémé, je parle, et c’est du vin, des roses, de l’or en barre, du poison ».

Le dit d’A.-M.B. (Poignant Églantier, 1995). « Molasse dit : jute et con. Lison non, Molasse franche du col, de l’entrecuisse. Pleines les mains, pleine la bouche. Elle dit bougie, concombre, barreau de chaise, elle dit dard au dessert. Elle dit manille et vulve. Elle dit mulve et vanille ».

Petits crapauds du temps qui passe, en collaboration avec Jacques Izoard (Atelier de l’Agneau, 2006). « Les poèmes d’Izoard sont premiers et Valprémy intervient dans la page (…). L’œuvre de Jacques Izoard, accomplie, sûre, pondérée, qui marche sur un chemin mille fois fouillé, est frottée à la langue de Michel Valprémy qu’on connaît pour son plus grand goût du risque lexical et qui aime à gratter là où ça chatouille. La simplicité lyrique et minimaliste de la poésie d’Izoard est perturbée par l’écriture plus baroque de Valprémy, caractérisée par un grand afflux de mots, de nerfs, de choses revêches. Là où le premier dépouille son écriture, le second la recouvre de peaux multiples. L’un aime la nomination directe quand l’autre préfère le détour et l’allusif. Mais les thèmes, les objets de la rêverie poétique se recoupent fréquemment et le principal d’entre eux est assurément le corps. Le corps et ses parties (œil, cœur, verge…), le corps et ses humeurs (salive, sperme). Cette confrontation des deux imaginaires, des deux complexions psychologiques et poétiques fonctionne bien parce qu’ils sont étonnamment proches, comme le montre l’entretien entre les deux auteurs à la fin de l’ouvrage ». (Laurent Albarracin, Images de la poésie, chronique sur le site de Pierre Campion À la littérature…).

Rose, Raoul et Courte-Queue, Des nouvelles de Deleatur (Ginkgo éditeur, 2006). Réédition.

Manips (Ikko, 2006). « Du bout des doigts, j’écosse l’eau, le lait. Du bout des doigts crème et crasse. Le temps est un miroir de sable, une flaque plate, le temps couche long, lent, au creux des brocs, des cuvettes, le temps chevron, échelle de drap ».

Cédille au çiel, avec une photographie de Francis Chaumorcel (Éditions des Vanneaux, 2006). « (…) une cédille que plus tard, sur la couverture d’un livre de Michel valprémy, je verrais pendre au c du ciel, pendre au çiel, ou plutôt l’accrocher à sa langue bien pendue, le crocheter, tenir à jamais l’esprit suspendu au vol immobile de la lettre » (François Huglo, Crénom).

Cache-cache vinaigre : farsa comica (Apogée, 2007). « Une Merveille, c’est une abeille vermeille, une bonne poire pour la soif. Donnez-moi l’heure, donnez-moi ma lettre ! Je m’appelle Merveille, Merveille Doisot. J’écris sur les murs, sur les boîtes à ordures. J’ai ma signature, monsieur, avec mon trèfle porte-bonheur. J’écris partout, partout, même sur le cul des marins. J’écris. Je suis une Merveille, une Merveille ! Je suis la Merveille d’Angoulême ».

La Salpêtreuse avec des sculptures et dessins de Michel Valprémy photographiés par Claude Martin (Atelier de l’Agneau, 2009).

« Le clumeur

   Face au mur, sans tache des socquettes au chapeau, il compte. Il peut compter jusqu’à cent, trois cents, jusqu’à demain, jusqu’à la fin du monde, jusqu’à ce que sa langue sèche et tombe. Il est toujours hors-jeu, hors-concours, sur la touche. Il compte ».

Lilas-zone, Inventaire (Éditions des Vanneaux, 2010). « Ni roman ni poème ou les deux, c’est un livre, un jeu de piste à parcourir en tous sens. Tous les livres le sont, mais lui le sait. Les flèches ne sont pas tracées sur les routes, elles volent avec l’Indien, le guetteur empenné qui par l’œil entre dans l’arc, la phrase qu’il plie, et entre dans la flèche, le vers qui bondit et s’envole, de lieu en lieu, autant de dégâts, chacun étant la scène première et dernière, celle qui survit au naufrage de la narration » (François Huglo, préface).

AGRAFES  (Atelier de l’Agneau, 2011)

Ce recueil rassemble, avec des photographies d’Ariane Boillot et la photocopie de la couverture originale de chaque plaquette :

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