Cliquez ici pour découvrir un extrait de Antoine Emaz par Matthieu Gosztola
Les Éditions des Vanneaux continuent la belle et courageuse entreprise de l’édition intégrale des œuvres de Pierre Garnier. Voici un second et fort volume consacré à l’œuvre poétique dans une édition qui est un tour de force tant la disposition spatiale de la plupart des poèmes de Pierre Garnier nécessite une grande compétence typographique. Poezibao n’est pas en mesure de reproduire ces poèmes-là mais publie ici quelques extraits d’Ornithopoésie (1986)
les dictatures n’aiment pas les oiseaux.
Ni leurs migrations secrètes.
tous leurs cris
retrouvés plus tard – affaiblis
dans les mots.
le moineau tenu par son épine.
l’hirondelle vole jusqu’au bout de son nom.
un roitelet
la mer
dans la durée des îles.
le corbeau :
sa langue de chancellerie.
*
l’oiseau glisse
hors de lui-même
se rattrapant
plus bas
remontant – puis se perdant
dans l’air qui fut,
qui est,
qui sera
au point d’être courbe.
son nid fait tic-tac.
Puis le pinson précise
le mot
son nid fait tic-tac.
Puis le pinson précise
le mot ″ étoile ″.
la langue des mouettes
– littérature
presqu’écrite.
Le chant de la fauvette :
déjà les collines
*
mince relief de l’oiseau mort :
presque du fil.
devant le roitelet la Mort
une montagne
qu’il va franchir devenant air.
cette mésange
veut s’agripper à un chêne
qui était là voici cent ans.
jeu d’échecs des vanneaux sur les champs
bougeant à peine :
quand le ver le murmure,
quand l’étoile le dit.
l’hiver l’alouette prend un dernier
grain de blé
Au printemps du blé pousse de l’alouette.
*
la tête du colibri
pleine d’un atome l’infini.
j’écoute le chant d’un pinson.
Puis tous deux nous restons silencieux :
qu’écoutons-nous le pinson et moi
depuis des siècles ?
le rossignol chante la nuit.
Le chant qu’il a écouté en silence tout le jour
les étoiles l’ont aussi écouté.
par son chant le merle n’éclaircit rien :
comme le poète
il crée des énigmes
le rossignol peint par touches
l’aube avant l’aube
Paons à Saisseval
les Indes dans le village,
oiseaux des îles – géants
ils marchent dans la rue
venant des millénaires plus que de l’infini
sont-ils les oiseaux de l’éternité ?
(caractéristique : ne volent pas à travers
l’espace, mais à travers le temps)
sur la route on les croise :
viennent d’un autre temps,
vont vers un autre temps.
sont de passage.
l’ailleurs ici.
ils marchent comme un compas trace un cercle.
musée en plein air.
ils ont toutes les couleurs de la terre
puisqu’il n’y en a aucune au ciel.
les yeux de la queue de paon ne voient rien
voient le monde.
toujours frileux en plein soleil.
le seul oiseau dont le cri est un appel,
je t’appelle du fond de mon abîme –
je suis là moi l’oiseau magnifique
moi, la pauvre créature,
je t’appelle aux quatre coins du village.
Requiem : le cri du paon.
Et ce temps qui fait roue libre.
Comme au fond du temps tout est rond
on ne retrouve plus l’histoire.
Dans le village ils soulignent la
non-élégance de l’Europe –
ils la souligneraient aussi bien sur les
Champs-Élysées
Ce fut pour eux une telle victoire
qu’espérer être.
Ils sont le O de l’origine.
ils entrent dans le zéro :
d’où leur beauté.
•
Saint-Quentin
papillons dans le jardin du Musée,
XVIIIe siècle.
Jean-Jacques ici beau et jeune
pense aux pervenches
et aux pensées qui sont aussi des fleurs.
Georges de la Tour – Quentin Latour.
nocturnes : ceux de Quentin sont
dans le temps qu’il fait, non
dans celui qui passe.
les nocturnes du premier sont
dans la nuit éternelle,
les nocturnes du second
éclairés par le jour.
à la fin du siècle ces mêmes têtes
ne seront plus qu’un cercle dans le ciel :
celle de Marie-Antoinette.
Robespierre aurait pu être peint
par Latour – mais pas Saint-Just
qui remit son visage à plus tard
tous attendent ici pour jouer
une pièce non encore écrite :
celle de l’au-delà.
l’au-delà, l’en-deçà –
où sont-ils ?
En tous cas très minces
tentant de passer entre la vie et la mort
Pierre Garnier, Œuvres poétiques 3, 1979-2002, préface de Claude Debon, Éditions Les Vanneaux, 2012, 35€, pp. 254 et 158
Pierre Garnier, Ornithopoésie (1986), repris dans Œuvres poétique 2, 1968-1988, préface de Martial Lengellé, Éditions des Vanneaux, 2009, non paginé, 30 €.
Pour rendre hommage à Pierre Garnier, décédé le 1er février 2014 à l’âge de 86 ans, Matthieu Gosztola a choisi ces poèmes…
Extrait de Une chronique de la nature civilisée (Editions des Vanneaux, 2009)
___
le livre de vocabulaire est beau
quand on l’ouvre on voit des plantes,
des fleurs, des bicyclettes et des locomotives
qui sont les inventions des planètes,
des eaux et des hommes.les pages restent accrochées aux yeux.
les tunnels sont des vallées mystérieuses
comme l’intérieur de la Terre :
d’anciens coquillages qui ont été et la vie
et la mort.
Extrait de Adolescence (Editions des Vanneaux, 2008)
___
Te diviser entre le miroir et la fenêtre
Te pénétrer
c’est aussi le désir d’aller
jusqu’au bout
de te diviser toute
tu es cette rivière
qui toujours s’allonge
sans se séparer de sa source…
j’ouvre ton sexe, c’est une huître,
je veux dire une mer en réduction
sensible
intelligente
avec des lèvres
Extrait de Heureux les oiseaux ils vont avec la lumière (Editions des Vanneaux, 2005)
___
la fatigue tombe enfin du corps
il neige
la fatigue est tombéele cimetière est couvert de neige
en été ce sont des fleursles ailes des oiseaux et des anges sont des
croix –
les oiseaux entrent de partout iciet la terre ouvre une bouche tendre
Extrait de Ce monde qui était deux (Editions des Vanneaux, 2006)
___
derrière la fenêtre de la chambre
il y a la fenêtre du pommier :
toutes deux laissent passer la lumière,
mais le pommier laisse passer une lumière
qui devient brindilles, fleurs, fruitsla grand-mère dit : « ce pommier a jeté l’ancre dans mon jardin ».
c’est une grande affaire que les peintres
au XIIIe siècle aient peint le ciel en or :
ils le voyaient ainsi, il était ainsi,
ce fut la Grande Révolution
avant 89, 17, ou la Commune« Le Christ ou rien » vient de dire le Pape,
c’est ce que disaient la grand-mère et le canari d’or,
la roue de bicyclette et ses rayons –
le poète et le coq quand les châteaux flambaientpeut-être que le canari venait de ce ciel d’or,
peut-être descendait-il d’un rayon,la nuit il se mettait en boule, remontait dans l’or du ciel,
était mêlé à
l’or
il suffisait de claquer des mains
pour qu’il se mette à chanter –
les grandes eaux alors couraient dans la salle,
la vieille souriait – le monde était un chant
clair et pur –
à une certaine distance des hommes
c’était la beauté blanche et bleue du liseron
Extrait de Ornithopoésie (Editions des Vanneaux, 2007)
___
une sauterelle saute sous mes pas :
ne porte-t-elle pas, elle aussi,
plus loin le monde ?l’enfant joue à la marelle.
cimes ces jeux
(si) beaux quand ils commencent à se charger
de neige
et que l’enfant demeure stupéfait
de jouer avec le ciel et la montagne.le soleil est toujours au bord de cette côte
il ne la quitte pas même la nuit :le matin la mer se lève
et fait du port une lampe.les mandarines allumées.
la famille restait autour de la table
avec devant elle ces petits soleils
vieux et près de s’éteindre
comme ce serait plus tard dans l’univers.C’est ainsi qu’à Noël nous attendions
la fin du jour.
Extrait de La vie est un songe (Editions des Vanneaux, 2008)
___
l’enfant regarde le papillon,
il a la forme d’une croix, il vole,
c’est le Christ,
on le voit à son vol alterné« le Christ quitte sa croix » crie l’enfant
qui regarde le papillon sortir de sa chrysalidele Christ sur la croix se défait,
une sève coule le long des bois,
les épaules deviennent des ailes,
il se disperse jusqu’aux limites,
il se rassemble, c’est un point –
Extrait de Les Devises (Editions des Vanneaux, 2008)
___
ombre au-dessus
de la mer
clarté sous l’eaule Poète
conçoit le
clair de lune[…]
le Poème,
le monde,
ont une plus
belle lumière
que le Soleilici, dans le
Poème,
la lumière du Jour
est la même que
celle de la Nuit
Maisons.
Nous construirons des maisons. Nous
construirons des maisons comme des corps.
Les maisons seront nos corps. Il y aura le dehors.
Il y aura le dedans. Le dedans du corps sera l’exact
prolongement de l’intérieur des maisons. On se sentira
à l’abri, loin de la cohue, loin du tumulte, loin de l’incessant
ballet du visible sur lequel on n’a que très peu de prise,
ou pas de prise du tout. On sera dans un univers
que l’on pourra maîtriser. On saura à quoi s’attendre.
On sera dans le contrôle. On sera loin du danger
que représente le dehors, du danger que représente
l’imprévisible avec lequel le dehors se confond
ontologiquement. On sera dans le prévisible. On aura
choisi chaque aspect de l’intérieur. On sera dans l’intérieur
de nos maisons comme on sera dans l’intérieur de nos corps.
À ceci près que l’on ne choisit pas l’intérieur de nos corps.
On vivra l’intérieur de nos corps, un intérieur que l’on aura
choisi, et qui se tiendra à l’abri du déplacement aigu, douloureux,
en dehors de nous-mêmes et du délabrement, vécu, fantasmé,
visible ou invisible auquel nous contraint la maladie. Mais on
se fatiguera vite d’avoir tout prévu, d’être à ce point dans le
cocon des choses. On voudra que le cocon s’agrandisse
à un imprévisible qui ne soit pas douloureux, qui ne soit pas
cahots brusques de l’existence, d’une existence qu’on n’aurait
pas choisie. Alors, dedans l’intérieur de nos maisons,
on construira des chambres. Des chambres avec des portes.
On fera les chambres pour faire apparaître l’amant, l’amante.
On fera les chambres car la chambre appelle l’amant, l’amante.
On fera une porte pour que la chambre ne soit pas toujours
ce qui est là. Il faudra non pas ouvrir la porte pour être
dans la chambre. Il faudra embrasser l’amant, l’amante.
On sera plusieurs, dans l’intérieur des murs de la maison
qui est l’intérieur de nos corps. On sera plusieurs, et alors
commencera l’aventure. On pourra vivre l’intérieur sans
un regard vers l’extérieur. On pourra être dans l’intimité
du dévoilement, dans l’intimité de ce qui se rejoint et
se découvre lié, relié. On sera alors en proie à la chute
au-dedans de soi d’un être qui tombe en soi-même et
se rattrape, au-dedans de lui-même, dans les bras
de l’autre. De l’autre qu’il a en soi et qu’il peut
en même temps voir dans la chambre,
à un souffle de lui. De l’autre qui reste là,
et que la chambre n’emprisonne pas.
N’empoisonne pas avec son réel limité.
N’empoisonne pas son infini, l’infini
avec lequel il se confond au point que l’infini
puisse le résumer, sans mensonge, sans une faute
qui soit ce qui masque. De l’autre que la chambre
rend libre d’une liberté inouïe qui ne peut que se
découvrir entre des murs, entre des bras,
dans une immobilité presque qui est celle,
toute parcourue des frémissements de feuille
tremblant dans l’arbre, de l’étreinte. Liberté
de ce qui semble emprisonné dans un cœur,
dans un regard. Liberté inouïe de ce qui
ne peut être libre qu’ainsi contraint,
emprisonné, ravi à soi-même pour
mieux être rendu à l’immensité
contenue en soi, au grand souffle
d’air de l’infini qui envoie
tout valser sur son passage
et qui ne laisse vive que
la couleur des yeux
de l’amant, l’amante.
La chambre devient
le lieu fermé qui permet
aux corps de s’envoler, d’être
dans une absolue liberté au sein
de laquelle le temps n’a plus aucune
prise. Au sein de laquelle le temps est
l’inopportun, se découvre, se sait tel,
en prend acte,
et s’envole.
Liberté de ce qui n’en finit
pas de tournoyer et se découvre rétif
aux lois de la pesanteur. Se découvre rétif
aux lois de la douleur, aux lois de ce qui n’est
pas pur et intense acquiescement. Liberté
de ce qui se suffit à soi-même, faisant corps
avec l’instant comme s’il n’existait rien d’autre que lui.
Et il n’existe rien d’autre que lui. On construira des
maisons pour que l’amant, l’amante puissent être
protégés du dehors, pour qu’ils puissent être loin
de ce qui casse, pour qu’il y ait des chambres
où l’on puisse les retrouver. On construira
des maisons pour dire notre amour
au frêle de l’être, au frêle éphémère
qui rend, par comparaison, toute
architecture d’acier plus fragile encore,
eu égard à la force extrême de ce frêle
qui contraint toutes les certitudes à mourir.
*
**
Note : Ce texte a paru sous une forme très différente dans le second numéro de la revue Première ligne.
Informations concernant cette revue :
Date de création : 2012
Editeur : Éditions des Vanneaux
Adresse : Éditions des Vanneaux
8 rue Teulère – 33000 Bordeaux
Tél : 09 66 95 26 80
Courriel : odartchenkocecile@gmail.com
Les éditions des Vanneaux mettent en chantier une importante édition des œuvres de Jean-Paul Klée. Elles viennent de publier le premier des Cahiers Jean-Paul Klée, intitulé bonheurs d’olivier larizza. Poezibao publiera prochainement une note de lecture de ce livre, par Jean-Pascal Dubost.
Note de l’auteur
Les poëmes qui composent ce recueil font partie d’une immense série consacrée à l’amitié d’Olivier Larizza, qui a déjà donné lieu à deux publications, C’est ici le pays de Larizza en 2003 et Trésor d’olivier larizza en 2008. Commencée le 30 novembre 2000, cette profusion s’est poursuivie jusqu’à récemment.
douceur infinie [24 novembre 2007]
à l’éperdüe j’avance va
guement sürpris par la beauté la
bonté d’Ici-bas on dirait
parfois fleur de lys ou les
parfums d’une immensité remplie
de rosiers qu’on ne
connaissait pas Ainsi la
douceur d’Oliver me parlant
de mes poësies m’a-t-elle tout à
l’heure semblé de la
sainteté… Autrefois l’on approchait
l’une ou l’autre fée qui vous donnait
douceur fabüleuse Ni
musique ni théologie ne procurait
semblable sentiment vous étiez pris
d’une infüsion d’absolü qui vous
rachetait d’un esclavage prolon
gé (ah oui les Barbaresques m’ont vi
olenté rabaissé) m’ont souillé bafou
é frappé le corps & le cœur comme si
vous étiez condamné noirci flambé par
le Moloch jamais vü il aurait
les yeux chauffés à 500 degrés D’où vient
l’infinie douceur d’Olivier je ne m’en
lasserai jamais Qu’elle ne me
quitte pas qu’elle me
prenne par le fond dü cœur là où il
a perdü sa couleur (je lui donnerai
tout ce qu’il voudra) & le gagnant c’est
celui qui donne sa
fortüne son sentiment le thrésor
de soi l’exténué vibrato
qu’on ne connaisse pas tout le
moteur l’être qu’on a…
Ne comprendre rien (ne se
formaliser pas) s’ouvrir
à l’Ami – que sa douceur
m’envahisse toute à fée !…
|•|
à la tombée du noir [9 novembre 2003]
vers 17h à Neudorf parmi les radiateurs modérés
le passé s’en allait pas à pas & aussi la
lumière s’en va Pour ne pas la réveiller (ma
mère endormie nous laisse la paix) j’ai pas
allümé me suis rapproché la fenêtre éc
*
crivant ceci (le palmier vert jauni fleurit sur la
tapisserie) & j’ai vu des corbeaux plantés dans
les toits jardiniers on dirait qu’ils ont l’œil pointé
vers nous Esse-là des agents secrets
plus ou moins d’albanie mongolie or je n’ai
*
pas grand’chose noté ici sauf je suis
pas mal dü tout & battant & encore j’ai
bonne santé (ma foi) sur dü papier bleu j’ai là les
chiffrés de ma mulhouse randonnée… Si c’était
de moi j’y aurais mis des milliers d’euros pourvü que la
*
théorie de mon ami se propage partout dans les1
chaumières dauphiné valentiné aussi les
marécagies poitevin on y deviendrait voyez-vous
plus humains & courtoisie rameuterait partout les
colombiers de la paix !… Oh si l’asie m’apporterait
*
douceur d’exister comme s’il n’y avait eü les
massacrages enragés qu’on a toujours sübis à
présent & autrefois & partout parmi les
continents royaumes disparüs Toute la chrétienté
n’ai rien réussi là-dessus car l’horrible ROUGERIE
*
elle n’a nulle part disparü… voici la nuit je n’y
vois plus A fallü j’aille dans la chambre dü
fond à terminer l’écriture d’ici Oh c’est
sans illüsions (rien ne changera) On est
d’anciens cannibaleux & ça nœud
*
s’arrangera jamais je le crains Les voyous
seront-ils toujours parmi nous ?…
Jean-Paul Klée, bonheurs d’olivier larizza, Éditions des Vanneaux, 2011, Cahiers Jean-Paul Klée n° 1, pp. 13-14 et 127-128.
1.Olivier Larizza, La théorie de la petite cloche, éditions Anne Carrière, Paris, 2003.
Yannis Stiggas
Vagabondages de sang
Le temps, tel qu’on nous l’a donné mutilé,
je n’ose dire ce qu’il justifie.
Je ne fais que mordre, cracher de la lumière sanglante
chaque matin je lance des mandarines à la mort
– c’est une fatigue singulière –
le soir je reste simplement à la fenêtre
Un ange arrive
et mange dans les ordures.
Michel Pierre
L’enfer vaut l’endroit
L’autre temps
Le temps rassemble ses couleurs au fil desquelles mille soupçons inspirent les hommes qui aussitôt se taisent. Puis il dresse un événement pour chaque famille insouciante, laquelle se balance à ses agrès, élargit l’horizon contenu dans un mouchoir, appelle le destin dont les noms de couleuvre font la suite au détail de la sornette annoncée. Bref, le temps se tient dans la paume appuyée contre la vitre là où se tarissent les sources du savoir. Ainsi nous, enfants égarés, à la poursuite des saisons inscrites dans le grain de notre peau, fourbissons nos désirs à la lisière du vide. Là où encore le temps ne se nomme plus, grandit de notre propre anonymat dont il fait le meilleur usage. Le temps qui remplit sa dernière seconde à la fin de chaque siècle, inspire l’oubli au petit matin quand chantent les ours au sommet des montagnes, lesquels animaux griffent la limpidité du ciel, désignent l’azur comme le meilleur ami, tremblent devant les orages et perpétuent la colère du dieu des singes.
Louis François Delisse
De la mort du lion
Maintenant l’autre temps l’autre
monde l’autre caresse commence.
Assez longtemps ils ont arraché
leurs yeux à nos enfants. Assez
longtemps ils leur ont dit que
le lion était l’ordre du monde
assez longtemps ils ont substitué
au monde et à la vie leur télé.
Lune, la gazelle s’est couchée
sur la peau du lion, et sourit:
le jour est venu où pour toujours
nous serons jeunes, nous serons
lune où, face à face avec la lune
et le soleil, nous luirons contents
François Huglo
Ceci, le sang de l’échanson feuillu
Vigne pérenne à charpente aérienne, c’est beaucoup dire. Elle ne tenait pas debout sans un mur. Reptation tenace vers le haut, vers le bas, peu importe à l’amélopsis qu’il scelle ou qu’il fissure, s’il trouve faille où nidifier.
Un âne qui brouta ses branches la tailla le premier, diton. Par hasard la domestiqua l’inventive indiscipline d’un domestique. Et de quatre coups de dents, docte, il la rebaptisa: vitis vinifiera.
De son sang, l’esclave aux moignons en croix devint l’échanson. Pour mêler dans l’amphore au miel, aux aromates, cosmétiques, les boucles noires de l’idole, le maître euphorique abattit les vrais arbres, dessoucha. Les dieux chenus chassés, de terre il dota sa favorite enrubannée à son échalas, simulacre de station debout.
Philippe Blondeau
Décimales
Le pommier
Tellement soucieux de l’histoire et des hommes
qu’il se penche plus volontiers vers la terre
il n’a pas même songé à s’élancer
mais il se concentre en noeuds complexes
et quand l’âge lui vient
les lichens verts et la mémoire
l’enveloppent comme la pierre des statues
dans les jardins incultes où il survit
longtemps après qu’une main vieillissante
pour la dernière fois cueillit le fruit sur l’arbre.
Jean Michel Bongiraud
Abeille(s)
La dame est incertaine dans la neige
Et elle glisse sur ses chaussures.
A l’abattoir le sang a conquis les mouches
Et le boucher est un imposteur.
Je ne parle pas plus fort
Mais je répète inlassablement les mots
Sans manquer de taper dans mes mains.
La cire des abeilles dont je me pare
Me donne un goût d’autruche apprivoisée;
Les hommes aiment à regarder ce tableau.
Ils ont pour le juridique une passion
Et lavent leurs plaies avec des codes.
André Bay
Dérives blanches
……………………….
Le blanc voile du vide.
Le blanc chaos visible de l’invisible.
Il arrive que le blanc du ciel soit comme une célébration du blanc, du blanc poussé au bleu, accomplissement d’un ineffable infini.
Que le blanc s’oppose au noir ne les empêche pas de s’unir dans le gris.
Vallée encotonnée dans ses brouillards, nuages s’étirant sous les premiers rayons, brumes transparentes, naissance du jour.
Pierre Garnier
Heureux les oiseaux
ils vont avec la lumière
………………………………….
ce sont nouvelles de campagne
– la cathédrale nue
dans l’absence de la ville –
une falaise au-dessus de la mer
on ne sait rien de ce qui est au-dessus, en dessous,
de l’herbe rase au-dessus de la nef
à nouveau la possibilité de lire et de naviguer
au-dessus de la croix
– car au-dessus de la cathédrale
l’air est visible
et très haut
( c’est aussi à plat dans la direction de l’est)
il passe sans arrêt des barques
Raymond Farina
Une colombe une autre
A qui ne connaît pas l’oiseau
– c’est du tisserin qu’il s’agit
je demande d’imaginer
trois cents cricris crissant sans cesse
use sort de gazouillis
que strient
de temps en temps
des « tsssp »
Si la colonie musicienne
ne suspend jamais son vacarme
en revanche elle sait suspendre
à la moindre broutille de l’arbre
ses nids: ces boules qu’elle tisse
brimbalant comme des lanternes
quand leurs habitants vont & viennent
On joue à la balançoire
on joue peut-être aussi sa vie
qui ne tient vraiment qu’à un fil
qu’au caprice d’un alizé
qui peut se changer en cyclone.
Michael Curtis
Walking water
En piles ou dans les râteliers
sur des tréteaux passifs
les mots fixent le plafond,
avides d’être regardés
touchés, cajolés.
Les flâneurs passent
feignent l’intérêt,
flirtent avec les livres
les tournent négligemment
les remettent en place
un peu en désordre
et juste désaccordés,
passent le temps qu’il faut
pour que quelqu’un achète à manger
que les enfants essayent des souliers,
sauf vous naturellement
qui vous penchez de plus près
présentez
vos petits seins dégagés
à une dédicace qui prend son temps,.
D’un geste infinitésimal
je ferme le mince volume
le presse `dans votre paume ouverte
laisse vos doigts s’enrouler autour de son dos.
Caravaca
Un corps contre la terre
Les yeux voient un corps sur la terre, voient un corps contre la terre. Je suis dedans les yeux qui voient. Du ciel, des fragments de nuages aussi. Dedans. Qui tournent sur l’orbite de chaque oeil. Dedans chaque oeil l’image d’un corps contre la terre. On ne sait pas de quelle époque cela nous est venu. Il y a un million d’années déjà, du ciel et des fragments de nuages tournaient sur l’orbite de l’oeil. J’ai été dedans il y a un million d’années. J’ai été aussi ce corps contre la terre. Je me suis nourri au sein de la terre. Je n’étais pas mort. Pas vraiment mort.
Kaïtéris
Héroïnes
Enfant au fardeau
Avant le coq dans l’air
la fumée de bois légère
pour laquelle elle se lève
Mais le bois noué à elle
à son dos la courbe
Et cheminant là
où l’âne ne va pas
la vie maintient
sur ses épaules
et son enfance
trente kilos d’eau
qu’équilibre mal
le sourire qu’elle porte en avant
léger lui, dans l’air transparent.
Isabelle Lévesque
Va-tout
En vent se blesse à dire du sel extrait des mines;
En coeur plein tertre à tartre creuse un feu de rage à concasser le crâne. Et condiments plein corps au poivre ronge l’escarre en corde.
A menace égale.
Entame le rond. Force l’angle où tord-douleur nie tout.
En bloc.
Et craquelle en morceaux de mille tailles à pics.
S’enfonce encore: les os sont à portée de pulpe.
Monde en aiguille pure, sans diluer.
En silence avance.
Et bandoulière en brame avait ( printemps).
déliquescent.
Quasiment écrasé – rayon.
Sa formule en pi attaquée ( tout part).
Sophie Renée Bernard
Traduites de la nuit.
Mourons tous les deux
<regarde que le ciel s’enlace de vert
Nous fouillons sa cendre,
nous prenons part encore
Mourons, avant le déni.
C’est que nous avons été Dieu
une fois
dans le jardin qui se peigne,
dans les yeux grands qui regardent,
dans l’attente de la porte grinçante
de celui qui entre
dans l’attente de toi, ma certitude,
mon désespoir
( le ciel s’enfièvre)
dans ta main qui me comprend,
dans l’arbre vertical,
par quoi les anges existent
Mourons,
dans l’évènement de l’amour.
Roseline Hurion
Tailleurs de rêves
Une rengaine
Il avançait, il reculait. Voulait rattraper le temps et pour cela avait fait de très savants calculs, relevé toutes les mesures. Or cela revenait à vivre en des jours, en des âges qui n’existaient pas. Il avançait, il reculait. Voulait dépasser le temps comme si, d’une inquiétante dissonance, il s’était révélé le complice; Et cela revenait à détruire cet esprit en lui qui comptait, évaluait selon de très vieilles opérations.
Or ce temps, il le gaspilla. Il s’était trompé dans sa mémoire, précipité dans ses illusions. Et de cette injustice qu’il lui fit, il le perdit.
Eric Cassar
Uniquement
Expérimenter
Traînées inversées noir rouge jaune…
Déconstruire physiquement les percepts
Sens en quête de sens
Mélanger
Effleurement mixture infra-sonore senteurs
Déformer
Observateur – espaces observés
Matière/matière
Vacillement d’impressions
Métonto
à l’infini
Dilater
Contracter
dans tous les sens
et ailleurs
Réinventer
Vincent Guillier
Traité de l’oisiveté
Non découverte
Nous avons gagné le sépia des jardins
Les fougères sur les murs et son odeur de prison
Aux visions remplies d’échancrures
Et de serments sur le belvédère
On voyait la plaine ses rares lointains
Tu m’as demandé
Si tu étais quelque chose que ferais-tu?
Je fus un chat un vilain un adulte fou
Et toi devineresse aimais-tu te promener
Dans les cimetières à flanc de colline?
C’était vrai tu y cueillais des idées
La laine de mouton aux barbelés
Parmi les branches pour manger des effluves
Tourner la tête et l’oeil
Marcher sans but dans le jus suri des plantes
Clermont